Phèdre (acte I, scène 3)
de Jean Racine
- commentaire composé -
Mon mal vient de plus loin. A
peine au fils d’Egée
Sous les lois de l’hymen je
m’étais engagée,
Mon repos, mon bonheur
semblait s’être affermi,
Athènes me montra mon superbe
ennemi.
Je le vis, je rougis, je pâlis
à sa vue ;
Un trouble s’éleva dans mon
âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je
ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon corps et
transir et brûler.
Je reconnus Vénus et ses feux
redoutables,
D’un sang qu’elle poursuit
tourments inévitables.
Par des vœux assidus je crus
les détourner :
Je lui bâtis un temple, et
pris soin de l’orner ;
De victimes moi-même à toute
heure entourée,
Je cherchais dans leurs flancs
ma raison égarée,
D’un incurable amour remèdes
impuissants !
En vain sur les autels ma main
brûlait l’encens :
Quand ma bouche implorait le
nom de la Déesse,
J’adorais Hippolyte ; et le
voyant sans cesse,
Même au pied des autels que je
faisais fumer,
J’offrais tout à ce Dieu que
je n’osais nommer.
Je l’évitais partout. O comble
de misère !
Mes yeux le retrouvaient dans
les traits de son père.
Contre moi-même enfin j’osai
me révolter :
J’excitai mon courage à le
persécuter.
Pour bannir l’ennemi dont
j’étais idolâtre,
J’affectai les chagrins d’une
injuste marâtre ;
Je pressai son exil, et mes
cris éternels
L’arrachèrent du sein et des
bras paternels
Je respirais, Oenone ; et
depuis son absence,
Mes jours moins agités
coulaient dans l’innocence.
Soumise à mon époux, et
cachant mes ennuis,
De son fatal hymen je
cultivais les fruits.
Vaines précautions ! Cruelle
destinée !
Par mon époux lui-même à
Trézène amenée,
J’ai revu l’ennemi que j’avais
éloigné :
Ma blessure trop vite aussitôt
a saigné,
Ce n’est plus une ardeur dans
mes veines cachée :
C’est Vénus tout entière à sa
proie attachée.
J’ai conçu pour mon crime une
juste terreur ;
J’ai pris la vie en haine, et
ma flamme en horreur.
Je voulais en mourrant
prendre soin de ma gloire,
Et dérober au jour une flamme
si noire (…)
1.
Introduction
Phèdre est une tragédie de
Jean Racine. La pièce fut jouée pour la première fois le 1er janvier 1677, par les comédiens de
l’Hôtel de Bourgogne.
Dans
l’acte I, scène 3, Phèdre, épouse de Thésée, avoue à Œnone, sa nourrice et
confidente, la passion qu’elle ressent pur son beau-fils, Hippolyte.
2.
La passion de Phèdre
La passion de Phèdre est une
passion interdite et cette passion change sa personnalité.
2.1.
L’amour pour Hippolyte
Dans sa confession, Phèdre
affirme l’amour pour son beau-fils : « J’adorais Hippolyte »
(v.286).
L’amour pour Hippolyte
représente un adultère. Phèdre portait en cœur, pour Hippolyte, un amour plus grand
que l’amour maternelle qui a apparu quand elle l’a vu. Cet amour est infini,
est un amour sans issue.
2.2.
L’opposition entre amour et raison
En Phèdre se porte une lutte
entre amour et raison. La raison dit que l’amour de Phèdre n’est pas un amour
normal.
À cause de l’amour pour
Hippolyte, Phèdre perd sa raison : « Un trouble s’éleva dans mon âme
éperdue » (v.274).
La lutte entre amour et raison
détruit la personnalité de Phèdre et le destin : « Cruelle
destinée ! » (v.301).
2.3.
Les manifestations physiques de l’amour
Les manifestations physiques
de l’amour sont présentes en le vers 273 : « Je le vis, je rougis, je
pâlis à sa vue ».
Ces manifestations expriment
l’intensité de l’amour. Les adjectifs possessifs apparaissent tout à coup avec
les caractéristiques physiques : « mes yeux », « mon
corps ».
3. La tragédie de Phèdre
La tragédie de Phèdre apparaît tout à coup avec l’apparition de l’amour pour son beau-fils.
3.1. Le sentiment de culpabilité
L’amour de Phèdre est un amour
coupable. Phèdre se sent coupable à cause de l’amour interdit : « Et
dérober au jour une flamme si noire » (v.310).
Phèdre se sent honteuse de ce
fait : « J’ai conçu pour mon crime une juste terreur »
(v.307).
3.2.
Phèdre – une femme languissante
Phèdre est une femme
languissante à cause de l’amour incurable : « incurable amour »
(v.283).
« Incurable amour »
peut-être considérer une métaphore. L’amour est comme une maladie pour Phèdre.
3.3.
Le désir de la mort
La mort est le désir de Phèdre
parce que elle est l’unique solution d’échapper de sa culpabilité :
« Et dérober au jour une flamme si noire » (v.310).
4.
Conclusion
En conclusion, dans ce
fragment, Phèdre se prouve être un personnage complexe.
Dans la préface de Phèdre,
Racine affirme : « En effet, Phèdre n’est ni tout à fait coupable, ni
tout à fait innocente » (Jean Racine, Phèdre,
p.11).